Vers un forum mondial sur le Néolithique
Un congrès très réussi à Şanlıurfa en Turquie
Du 3 au 8 novembre 2024, s’est tenu à l’Université de Harran, Şanlıurfa (Turquie), le premier Congrès mondial sur le Néolithique (World Neolithic Congress -WNC). Initialement programmé pour septembre 2023, cet événement a dû être repoussé d’un an en raison du violent séisme intervenu en février de la même année, alors que les organisateurs étaient sur le point de boucler le programme. Ce décalage d’un an n’a cependant pas affecté la remarquable organisation du congrès ni son exceptionnel succès : plus de 900 participants de 63 pays et de 486 institutions, 687 présentations orales et 60 posters, 4 jours de sessions parallèles, 22 globales et 23 régionales (Fig. 1). Divers sponsors et autorités turques ont très généreusement parrainé le congrès et les événements qui l’ont accompagné, invitant notamment les membres du conseil scientifique.

Cette réussite résulte en partie du programme d’excursions qui, de l’avis de nombreux participants, fut leur motivation première pour se rendre en Pays kurde. Il comportait la visite, sur une journée programmée en milieu de colloque, de six sites dont certains mondialement connus de tous les néolithiciens : Göbekli, Karahantepe, Sefertepe, Gürcü, Çakmaktepe et Sayburç (Fig. 2 et 3). Des excursions avant et après le congrès sur des sites comme Çayönü et Nevali Çori complétaient le programme. Avec leurs incroyables bâtiments communautaires et leurs piliers monolithiques sculptés de 4 à 6 m de haut, avec leur statuaire de pierre et leurs riches bas-reliefs animaliers, ces sites extraordinaires, datés entre -9800 et -8000, ont impressionné même les meilleurs connaisseurs du Néolithique précéramique d’Asie du Sud-ouest, du moins ceux, nombreux, qui n’avaient pas encore eu la chance de les visiter. Cependant, a posteriori, tous ont reconnu que le succès du colloque résidait tout autant, sinon plus, dans l’intérêt des échanges scientifiques et des présentations que dans les excursions.

(Cl. J.-D. Vigne)

Certes, il y avait trop de sessions parallèles (parfois 11 concomitantes) et certaines d’entre elles étaient si spécialisées sur une technique ou une région qu’elles ne réunissaient que de petits consortiums déjà habitués à se fréquenter. Certes, les temps de discussion en salle étaient souvent trop courts, voire absents. Mais on retiendra surtout les grandes sessions transversales sur le rôle de la domestication dans la transition néolithique, sur les transitions alimentaires, le rôle des changements climatiques ou la néolithisation dans les régions intertropicales. Avec quelques remarquables présentations invitées, elles offraient aux participants une opportunité unique de disposer en quelques heures, à partir d’exposés pour l’essentiel d’une excellente qualité scientifique, d’une mise à jour de leurs connaissances sur des sujets que bien peu maîtrisaient de façon aussi exhaustive. Certaines sessions plus spécialisées, notamment celle qui concernait l’Epipaléolithique d’Anatolie ou le PPNA des sites de la région de Şanlıurfa, alliaient aussi originalité, intérêt, clarté et qualité scientifique. Il faut souligner que le lieu du colloque était localisé à 40 minutes d’autocar des hôtels dans lesquels étaient logés les congressistes, ce qui faisait d’eux un public captif et permettait à tout un chacun de profiter des pauses pour retrouver assez facilement (dans la foule, toutefois !) un tel ou un tel. J’ai personnellement beaucoup apprécié cette possibilité qui m’était offerte de retrouver en quelques jours, un grand nombre de collègues que je n’avais pas rencontré de longue date.
Même si divers événements, dont la situation internationale et le séisme de 2023, avaient suscité quelques états d’âme chez certains, voire les décourager, ce congrès restera dans les mémoires comme un remarquable succès et un temps fort de notre vie scientifique (Fig. 4 et 5).


(Cl. J.-D. Vigne)
Des problématiques partagées
Pour résumer de façon très condensée, le congrès a réuni toutes les interrogations que chaque néolithicien formule depuis des décennies, souvent sans pouvoir en discuter dans un cadre aussi avisé : qu’est-ce que le Néolithique ? Quelles en sont les constantes universelles ? En a-t-il seulement et sinon, doit-on continuer à parler de Néolithique en Amazonie, en Nouvelle Guinée ou en Sibérie ? Peut-on tous ensemble rebattre les cartes et proposer une définition consensuelle à la lumière des très riches acquis de ces vingt à trente dernières années, issus des progrès de l’imagerie, des pratiques de détection et de fouille, de la bioarchéologie (y compris, bien sûr, la biogéochimie et la paléogénétique), de la paléoclimatologie ou de l’archéologie environnementale ? Pour reprendre les mots de Hans Gebel (Freie Universität Berlin), « ce congrès nous a mis sur la voie d’une démarche partagée et d’une pratique mondiales de la recherche sur les néolithisations, peut-être la seule étape et la seule contribution que nous, préhistoriens, pouvons apporter pour contrer l’aliénation mondiale ».
Dès le lancement de la tentative avortée de 2023, les organisateurs, sous la houlette de Mehmet Özdoğan, qui fut à l’initiative du WNC, mirent en place un Conseil scientifique international d’une trentaine de personnes dont quatre français (https://worldneolithiccongress.org/scientific-committee.aspx). C’est ce même conseil qui a contribué à l’organisation du congrès de novembre 2024. Seulement 21 de ses membres ont participé physiquement au congrès. Ils s’y sont réunis deux fois, le 5 et le 7 novembre pour tirer un bilan mais surtout pour réfléchir à l’éventualité d’une part d’organiser une série de WNC quadriennaux, d’autre part de constituer un réseau mondial d’animation des travaux et réflexions sur les questions évoquées ci dessus.
De nouvelles perspectives
Les échanges par courriers électroniques entre les membres du conseil scientifique se sont poursuivis de façon très dense à la suite du Congrès. Ils ont abouti à plusieurs décisions importantes. Il faut renouveler l’expérience du Congrès mondial néolithique tous les quatre ans au moins, sous l’appellation « World Neolithic Congress » (WNC). La prochaine session devrait avoir lieu en Chine (Gansu-Qinghai), le suivant, possiblement, en Arabie Saoudite. Une page web sera créée et coordonnée à l’Université d’Istanbul, sans pour autant être rattachée administrativement à cet établissement. Cela permettra de stimuler la constitution d’une communauté scientifique mondiale sur les recherches concernant le Néolithique.
Il a été suggéré que des réunions, des ateliers et des séminaires plus restreints sur des sujets spécifiques se tiennent entre deux congrès, organisés par des membres du Comité scientifique ou d’autres collègues, mais sous l’égide du WNC. S’il est prévu d’organiser de telles réunions, le Conseil en sera informé au préalable par courrier circulaire. Les résultats de ces réunions seront largement partagés sur le site web du WNC afin de servir de base au prochain WNC. Plusieurs problématiques transversales ont déjà émergé, qui pourraient permettre au Conseil scientifique de thématiser le WNC de 2028, en Chine.
Le Conseil scientifique a aussi convenu de laisser à chacun des organisateurs l’initiative de publier ou non les actes des sessions de Şanlıurfa. Plusieurs d’entre eux ont déjà commencé à réunir des manuscrits pour les proposer à de grandes revues internationales sous forme de numéros thématiques, sous le sceau du WNC.
Enfin, le Comité doit être élargi en incluant des collègues issus de régions culturelles ou de domaines de recherche non représentés et des collègues plus jeunes. Toutefois, il a également été souligné qu’un trop grand nombre de membres rendrait le Conseil moins agile, et qu’il convient donc de ne pas accroître ses effectifs au-delà de 20 à 30 membres. Le Comité scientifique gèrera lui-même l’évolution de sa composition au fil des propositions qui lui seront faites.
Cent soixante ans après la naissance du mot « Néolithique », sous la plume de Sir John Lubbock, et près de 90 ans après les premiers et célèbres écrits de Gordon Childe, la communauté scientifique mondiale s’organise autour du World Neolithic Congrès (Şanlıurfa, Turquie) pour partager et promouvoir les questionnements relatifs à ce changement fondamental de l’histoire de l’humanité et de la biosphère. De toute évidence, c’est un événement fort pour nos communautés scientifiques, notamment celle de la bio-géo-archéologie, très motrice dans cette thématique de recherche. Peu représentée à Şanlıurfa, la communauté française doit se mobiliser autour de cet événement et de ses suites programmées. Celles et ceux qui souhaitent intégrer le Comité scientifique sont priés de se manifester rapidement auprès d’un des membres du Conseil scientifique WNC qui fera suivre leurs propositions.
L’auteur
Jean-Denis Vigne, Directeur de recherche émérite du CNRS, Bioarch (Bioarchéologie – Interactions Sociétés Environnements, UMR 7209), MNHN, Paris.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Jean-Denis Vigne (17 janvier 2025). Vers un forum mondial sur le Néolithique. Bioarchéologies. Consulté le 26 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/133tp