WomenSOFar (ANR-21-CE03-0008) : un programme de recherche qui (re)pense les femmes et leurs environnements dans les sociétés passées
Des femmes et des structurations sociales anciennes
Étudier le féminin, ou plutôt les féminins, en archéologie sensu lato est un sujet d’intérêt depuis plusieurs décennies. Cette thématique suit l’évolution des outils, méthodes et concepts utilisés au fil du temps dans la recherche. Plus récemment, la question du genre en général, et de la place des femmes en particulier, s’est vue réappropriée par les chercheur.euse.s de différentes disciplines, qu’elles soient médicales ou issues des sciences humaines par exemple. Ces études portent sur la question du genre et notamment des inégalités et discriminations dans le débat public. Si « l’histoire alerte le présent » (ex. réseau international 2024), l’archéologie contribue à la fondation de ces connaissances pour les temps (pré-)historiques. Ces connaissances sur le passé participent à notre compréhension des structurations sociales et nous éclairent sur nos comportements actuels.
Le projet ANR WomenSOFar – (Histoires de vie et place des femmes chez les premiers agropasteurs. Perspectives bioarchéologiques dans le contexte préhistorique français et méditerranéen) s’inscrit dans cette quête documentaire. L’originalité de cette étude est de baser la réflexion sur les témoignages biologiques (restes humains, archives environnementales) qui résultent en partie de comportements sociaux et qui sont potentiellement contraints par des espaces géographiques. Il s’agit également d’explorer la place des femmes, non pas en tant qu’individus déterminés par un sexe biologique, mais en tant que personnes ayant eu une histoire de vie, qui peut être mouvante (bébé, fille, femme et femme âgée) et complexe (ex. union, mobilité, maladies, famines). Nous avons investigué différents moments de la vie des individus à partir des tissus dentaires et osseux et mis en place des protocoles d’échantillonnages et d’analyses pour questionner quatre grandes thématiques: l’alimentation, la mobilité, les activités physiques et certains soins apportés aux enfants (fig. 1). La période ciblée correspond à une phase de développement des premières sociétés agropastorales du Néolithique sur le territoire actuel de la France (principalement Vème millénaire avant notre ère). Nous explorons également des collections bioarchéologiques du nord de l’Afrique pour documenter à plus grande échelle les variabilités dans les constructions sociales et les conditions de vie.

Des outils et des approches mis à l’épreuve
Depuis plusieurs années, les études menées sur les restes humains anciens s’organisent pour obtenir le maximum d’informations de manière la moins invasive possible. Cette stratégie vise à préserver le patrimoine bioarchéologique qui est fragile et limité. Au sein du projet WomenSOFar, bioanthropologues, archéologues, géochimistes, généticiens, archéobotanistes, archéozoologues et spécialistes des pratiques numériques et des statistiques se sont concertés pour proposer des protocoles adaptés (Fig. 2). La variété d’analyses menées sur les ossements et les dents (ostéobiographie, CT-scan, analyse isotopique multi-élément) de ces femmes, hommes et enfants du Néolithique (N=119), dont les restes sont parfois très dégradés ou difficiles d’accès, maximise la quantité d’information récoltée tout en minimisant l’impact sur les collections.

Le squelette par exemple est examiné macroscopiquement et mesuré, mais aussi scanné par microtomodensitométrie pour des études complémentaires et pour sauvegarder le maximum d’information avant d’être échantillonné pour les analyses moléculaires. Les analyses ostéobiographiques et sur les coupes du scanner permettent d’identifier des activités physiques et des contraintes biomécaniques impactées par l’environnement (ex. zone montagneuse). Les dents font l’objet d’une attention particulière car elles nous permettent d’aller chercher des informations parfois intimes de l’enfance comme le temps d’allaitement dont a bénéficié l’individu et les aliments consommés par le tout-
petit. Différentes parties de la dent sont étudiées : l’émail, la dentine et aussi le tartre qui est conservé pour certains individus. Dans le tartre, des
micro-restes alimentaires sont parfois préservés (ex. amidons de céréales, phytolithes) ainsi que des témoignages de l’environnement proche (ex. diatomés, charbons). Si les techniques et méthodes employées sont bien maîtrisées, le défi est de s’adapter à notre matériel pour répondre à nos questions (ex. les dents de lait sont fragiles et petites, leur échantillonnage doit être modifié au cas par cas ; Fig. 3) et de comparer ensuite tous les résultats pour avoir une « biographie » pour chaque individu étudié.

Un autre aspect de ce projet est de replacer ces travaux en regard avec la zone géographique afin d’évaluer le rôle des conditions environnementales et écologiques dans lesquels les individus ont évolué (par exemple le massif central vs. la Méditerranée). Pour cela, nous travaillons sur un transect nord-sud qui rend compte de la variété des paysages et climats. Nous savons que ces différences écologiques peuvent aussi influencer le type de productions économiques et alimentaires (ex. agriculture versus pastoralisme, ressources sauvages versus ressources domestiques). La disponibilité des ressources alimentaires, leur type, leur mode d’acquisition ont potentiellement joué un rôle dans la définition des conditions de développement et de vie, les organisations sociales et l’implication des femmes dans les activités de subsistance.
De la diversité des comportements à l’hypothèse d’une matrisocialité
Les premiers résultats du projet WomenSOFar montrent des différences dans les histoires de vie des femmes et des hommes tant dans leurs mobilités, leur alimentation que dans leurs activités. Les femmes connaissent des mobilités plus importantes, notamment durant l’enfance et l’adolescence autant dans le Centre de la France qu’en Vallée du Rhône ou en région méditerranéennes (Couvrat et al. 2024). Elles présentent aussi une plus grande diversité dans la consommation des ressources protéiques et leurs adaptations biomécaniques suggèrent des activités plus variées, moins spécialisées que celles des hommes (Bédécarrats et al. 2024). La mise en commun de ces données et la comparaison avec les études sur les fonctionnements patrilocaux préhistoriques et actuels nous ont amené à proposer l’existence d’une « matrisocialité » (Bédécarrats
et al. en prép). Les femmes, par leurs mobilités, leurs échanges biologiques et culturels, leurs adaptations à de nouveaux environnements sociaux, leurs rôles essentiels dans la vie des communautés et le soin aux enfants ont eu des impacts majeurs dans le maintien des communautés et des relations entre des groupes distants.
Les premiers travaux sur l’Afrique du nord nous montrent également une variabilité dans les durées d’allaitement et de sevrage qui est indépendante du sexe de l’enfant (Goude et al. 2024). Une mise en perspective plus large incluant l’intégration de données ethnographiques et de données paléoenvironnementales (climat, économie alimentaire, pratiques funéraires notamment) est en cours.
Les résumés des interventions et certains de nos posters sont disponibles sur les sites https://womensofar.hypotheses.org/category/communications et https://anr.hal.science/search/index?q=WomenSOFar
Une équipe pluridisciplinaire
Le projet est coordonné par trois laboratoires, dont deux situés à Aix-Marseille Université, UMR 7269 LAMPEA (Gwenaëlle Goude), UMR 7330 CEREGE (Guillaume Leduc) et un à l’Université de Bordeaux, UMR 5199 PACEA (Stéphane Rottier). Il bénéficie de l’investissement d’une quarantaine de partenaires scientifiques venant d’institutions françaises et étrangères (Algérie, Espagne, Irlande, Maroc, Royaume Uni), d’une dizaine de collaborateur.ice.s ponctuel.le.s, ainsi que des contributions d’étudiant.e.s en master, d’une ingénieure et d’un postdoctorant. Retrouvez plus en détail les différents membres et leurs expertises sur ce lien.
UMR 7269 LAMPEA : Gwenaëlle Goude, Hayette Berkani, Maëlle Couvrat, Jérémy Garniaux, Stéphane Renault
UMR 7330 CEREGE : Guillaume Leduc, David Au Yang, Pierre Deschamps, Abel Guihou, Hélène Mariot, Corinne Sonzogni, Laurence Vidal
UMR 5199 PACEA : Stéphane Rottier, Samuel Bédécarrats, Marie-France Deguilloux, Mélanie Pruvost, Jean-Paul Lacombe
Institut National de Recherches Archéologiques Préventives (INRAP) : Romana Blaser, Vianney Forest, Muriel Gandelin, Yves Gleize, Sophie Martin, Frédéric Prodeo, Sylvie Saintot, Ivy Thomson
Eveha International : Aurore Lambert
Service archéologique du Val-d’Oise (SDAVO) : Jean-Gabriel Pariat
Institut National des Sciences de l’Archéologie et du Patrimoine (INSAP – Maroc) : Addeljalil Bouzouggar, Abir El Ouafi
Université de Las Palmas de Gran Canaria (Espagne) : Jonathan Alberto Santana Cabrera
UMR 5288 CAGT : Andaine Seguin-Orlando
UMR 5554 ISEM : Laurent Bouby
UMR 7264 CEPAM : Lionel Gourichon, Didier Binder
Université d’Alger II (Algérie) : Iddir Amara, Yasmina Chaid-Saoudi
University of Glasgow (Royaume-Uni) : Kerry Sayle
University College Dublin (Irlande) : Robert Power
Bournemouth University (Royaume-Uni) : Mélie Le Roy
University of Valencia (Espagne) : Domingo Salazar-Garcia
Université de Lille : Frédérique Blaizot
Contributeurs ponctuels : Guy Andre (Lampea), Anaïs Baima-Rughet (Aix-Marseille Univ.), Fabrice Bray (Msap), Mathias Caire (Univ Toulouse), Charline Foray (Erasmus Mundus), Jai G. Hari (Aix-Marseille Univ.), Apolline Lambert (Univ Montpellier), Ichrak Larbi (Univ. Alger 2), Diane Lecler (Univ. Bordeaux), Vincent Ollivier (Lampea).
Soutiens financiers et logistiques
L’agence Nationale de la Recherche (ANR) finance le projet pour une durée de 4 ans entre 2022 et 2026. Également, nous avons reçu un soutien logistique important (mise à disposition des agents, prêts de matériels, coordinations techniques et accès aux collections) des différentes institutions partenaires et notamment des Services Régionaux de l’Archéologie (SRA, Ministère de la Culture), de l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et de l’Institut d’Archéologie Méditerranéenne (ARKAIA, Aix-Marseille Université).
Références
S. Bédécarrats, A. Lambert, R. Blaser, M. Gandelin, Y. Gleize, J.-G. Pariat, S.Saintot, I. Thomson, M.Le Roy, G. Goude, G. Leduc, S. Rottier, Consortium ANR WomenSOFar. Bone modifications and adaptations to mechanical stress in Neolithic women (ANR WomenSOFar). 30th EAA annual meeting, Aug 2024, Rome, Italy.
M. Couvrat, S. Bedecarrats, Y. Gleize, I. Thomson, JG. Pariat, M. Gandelin, A. Guihou, L. Vidal, P. Deschamps, C. Sonzogni, H. Mariot, R. Blaser, S. Saintot, F. Prodéo, F. Blaizot, M. Le Roy, MF Deguilloux, M. Pruvost, V. Ollivier, V. Forest, S. Martin, L. Gourichon, S. Rottier, G. Goude, G. Leduc. Identifier les trajectoires de vie des premiers agrospasteurs du Néolithique à partir de données isotopiques : l’influence des facteurs environnementaux, sociaux et économiques. 8ème édition du Colloque Climat et Impacts, https://premc.org/climat-impacts-2024/, Nov 2024, Gif sur Yvette, France.
G. Goude, Y. Chaïd-Saoudi, S. Bédécarrats, K. L. Sayle, F. Bray, L. Spanneut, I. Larbi, M. Couvrat, B. Sitouah, R. Power, A. Lambert, L. Bouby, D. Salazar-Garcia, T. Devièse, D. Au Yang, G. Leduc, S. Rottier. Early life histories in Late Prehistoric Algeria: first evidences by multi-element isotope and bioanthropological approaches. Session “931” – Tracing Human Stories through Stable Isotopes: Unravelling the Dynamics of Health and Identities. 30th EAA annual meeting, Aug 2024, Rome, Italy.
Réseau international – Institutions mémorielles et éducation à la citoyenneté, Manifeste 2024 « Aujourd’hui, l’Histoire alerte le présent ». Communiqué de presse online
Les auteurs
Gwenaëlle Goude est directrice de recherche en anthropologie biologique au sein du laboratoire LAMPEA (UMR 7269), Aix-Marseille Université.
Samuel Bédécarrats est post-doctorant au laboratoire LAMPEA (UMR 7269), Aix-Marseille Université, dans le cadre de l’ANR WomenSOFar.
Guillaume Leduc est chargé de recherche au Centre de Recherche et d’Enseignement des Géosciences de l’Environnement (Aix-en-Provence).
Stéphane Rottier est maître de conférence à l’Université de Bordeaux, rattaché au laboratoire PACEA (UMR 5199).
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Gwenaëlle Goude, Samuel Bédécarrats, Guillaume Leduc et Stéphane Rottier (14 mars 2025). WomenSOFar (ANR-21-CE03-0008) : un programme de recherche qui (re)pense les femmes et leurs environnements dans les sociétés passées. Bioarchéologies. Consulté le 26 avril 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13h3w