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“Le bouquetin alpin : entre mer et montagne”, un espace d’exposition au Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco

avec la collaboration de Florent Adamo, Fabrice Bray, Marie Canut, Evelyne Crégut-Bonnoure, Emmanuel Desclaux, Lionel Gourichon, Abdelkader Moussous, Olivier Notter, Elena Rossoni-Notter

Présentation de l’espace bouquetin de l’exposition : « L’effet papillon : Pré-Histoire des animaux »

L’exposition « L’effet papillon : Pré-Histoire des animaux » rassemble diverses contributions scientifiques, dont l’une est consacrée au bouquetin alpin et intitulée « le bouquetin alpin : entre mer et montagne ». L’exposition a ouvert ses portes le 1er décembre 2024 pour une durée d’un an au Musée d’Anthropologie Préhistorique de Monaco (Figure 1). Elle s’appuie sur de fortes collaborations, notamment avec les équipes du Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, du Parc national du Mercantour, du Musée d’Histoire Naturelle d’Avignon, du laboratoire de Préhistoire du Lazaret, du Musée de Terra Amata, de l’Université de Lille, de l’Initiative d’Excellence d’Université Côte d’Azur et du laboratoire du CEPAM (UMR 7264).

Figure 1 : Affiche de l’exposition
« L’effet papillon : Pré-histoire des animaux » qui se déroule au Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco du 1er décembre 2024 au 1er décembre 2025.
© Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco

Genèse du projet d’exposition

L’exposition sur le bouquetin alpin (Capra ibex) est le fruit d’un travail collectif initié dans le cadre du programme de recherche IBEX : Phylogénie, écomorphologie et mobilité des bouquetins alpins au Paléolithique dans le Sud de la France, porté par l’autrice de ce billet et financé par l’Initiative d’Excellence d’Université Côte d’Azur (2022-2023). Ce programme de recherche se poursuit.

Les premiers bouquetins alpins dans les Alpes du Sud nous sont parvenus par l’intermédiaire de leurs ossements retrouvés dans les niveaux datés de la fin du Pléistocène moyen (stade isotopique 6, 180 000 – 120 000 ans) des sites paléontologiques et préhistoriques de la Grotte de l’Observatoire (Monaco) et de la grotte du Lazaret (Nice, France) (Crégut-Bonnoure, 2020). Le bouquetin alpin est un animal rupicole (animal vivant dans des habitats rocheux) qui fréquentait tous les massifs du Sud de la France jusqu’au début du Pléistocène supérieur, il y a environ 80 000 ans (stade isotopique 4). À partir de cette période, les populations de bouquetins situées à l’ouest du Rhône vont connaître une évolution génétique différente avec l’émergence d’une nouvelle espèce, le bouquetin ibérique (Capra pyrenaica) (Crégut-Bonnoure, 2021). Pour les sociétés humaines du Paléolithique, ce taxon fait partie intégrante de leur économie alimentaire et également l’objet des pratiques symboliques (e.g. Gourichon et al., 2019). Toutefois, nos connaissances sur sa niche écologique passée restent encore parcellaires même si de premiers indices apparaissent sur leurs aires de répartitions naturelles (Barakat et al., 2023). Si les activités anthropiques l’ont conduit à trouver de nouvelles zones refuges situées entre 1000 et 3000 mètres d’altitude selon les saisons dans les Alpes du Sud (Figure 2), au cours du Paléolithique son aire de répartition était beaucoup plus étendue et comprenait des zones à très faible gradient altitudinal comme la frange côtière. Ainsi, le projet IBEX a trois objectifs : 1) Mettre en évidence des caractères morpho-anatomiques traduisant l’adaptation des bouquetins à leur milieu de vie (écomorphologie) et aux transformations de ce dernier au cours du temps ; 2) Documenter les relations phylogénétiques des bouquetins présents sur le territoire méridional français au cours du Paléolithique ; 3) Déterminer leur aire de répartition et l’évolution dynamique de celle-ci en fonction des grands bouleversements climatiques du Paléolithique. IBEX s’enracine également dans le projet collectif de recherche « Paléoéocologie de la grotte du Lazaret : interactions « Hommes-Milieu(x) » sur le littoral maralpin au cours du Pléistocène moyen final (MIS 6) » porté par E. Desclaux depuis 2020 (https://lazaret.hypotheses.org/author/lazaret).

Figure 2 : « Les sabots sur le rocher, tout en haut de la montagne […], le bouquetin se sent parfaitement en sécurité ». Extrait de la légende de la photo exposée dans la salle d’exposition de l’espace « le bouquetin alpin : entre mer et montagne » © Marie Canut (texte) et Florent Adamo (photo).

La constitution du corpus d’étude m’a amené à visiter et à nouer des liens avec les chercheur.e.s des musées d’histoires naturelles d’Avignon et de Nîmes, du Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, du laboratoire de Préhistoire du Lazaret et du Parc national du Mercantour. J’ai souhaité les remercier en proposant la création d’une exposition itinérante ayant pour but de valoriser les collections originales de bouquetins alpins rarement ou jamais exposées et de mener une réflexion sur la résilience de cet animal au cours de l’Anthropocène. En 2024, le Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, nous a offert l’opportunité de créer ce projet au sein d’une exposition plus large sur les animaux. Très rapidement, les différents collaborateurs ont accepté d’y contribuer parmi lesquels le Parc national du Mercantour, en la personne de M. Canut (responsable grande faune), et le photographe naturaliste F. Adamo.

Description de l’espace et des éléments muséaux

L’objectif de l’exposition est de permettre au visiteur de (re)découvrir un animal emblématique de nos montagnes, le bouquetin alpin (Capra ibex) en montrant la diversité de sa niche écologique sur le temps long et en décrivant son rôle dans l’économie alimentaire et le système symbolique des sociétés du Paléolithique ainsi que son devenir dans un monde bouleversé par l’anthropisation et l’effondrement de la biodiversité (Figure 3).

Figure 3 : « Là où il y a du fortin, il y a du bouquetin », selon Patrick Orméa, garde du Parc national du Mercantour. Extrait de la légende de la photo exposée dans la salle d’exposition de l’espace « le bouquetin alpin : entre mer et montagne » © Marie Canut (texte) et Florent Adamo (photo).

La salle est divisée en trois espaces : 1) l’éthologie du bouquetin alpin actuel ; 2) le bouquetin alpin en archéologie et paléontologie ; 3) les actions de sauvegarde et de préservation actuelles de l’espèce dans le Parc national du Mercantour. Ces trois espaces sont agrémentés de photos, de panneaux scientifiques, d’une vidéo, d’animaux naturalisés et de collections archéologiques mettant en avant des pièces originales, des niveaux de sols de fouilles originaux et des moulages (Figure 4). Les photographies naturalistes servent de fil conducteur pour illustrer l’éthologie du bouquetin dans les espaces 1 et 3. Elles ont été réalisées par Florent Adamo dans le parc du Mercantour (http://nature.alpine.free.fr/). Toutes les images sont légendées par des textes courts et précis adaptés à un large public, notamment les plus jeunes. La dimension de la pièce et le contenu des photos sélectionnées a permis d’imprimer ces dernières avec des formats différents offrant la possibilité aux visiteurs de prendre du recul pour les contempler.

Figure 4 : Partie de la salle d’exposition dédié à l’espace sur « le bouquetin alpin : entre mer et montagne » © M. Vuillien.

Les trois espaces sont pourvus de panneaux explicatifs. L’espace « Archéologie » (ou espace 2) comprend cinq panneaux sur l’origine génétique du bouquetin et sa répartition géographique, les gisements archéologiques locaux (les grottes de l’Observatoire, de Saint-Martin et des Balzi Rossi), l’historiographie de la recherche archéologique et paléontologique sur le bouquetin et les méthodes d’étude en archéozoologie (Figure 5). Ces panneaux sont associés à des vitrines exposant des pièces archéologiques originales sous la forme d’ossements, d’outils et de niveaux de sols de fouille prélevés en bloc, mais aussi du matériel de fouille et des ouvrages scientifiques. L’espace « Préservation et sauvegarde du bouquetin » (ou espace 3) présente les actions de sauvegarde menées par les agents du Parc national du Mercantour ces dernières années. Ces actions sont décrites par des photos légendées, une vidéo (https://www.youtube.com/watch?v=59NaHiFfrhg) et des objets (collier GPS et kit de capture) (Figure 6).

Figure 5 : Deux des panneaux exposés dans la salle d’exposition de l’espace « le bouquetin alpin : entre mer et montagne ». Les textes ont été écrits par Olivier Notter, Abdelkader Moussous et Elena Rossoni-Notter (panneau gauche), Fabrice Bray & Manon Vuillien (panneau droit), © Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco.

Ces trois espaces sont divisibles et pensés pour l’itinérance de l’exposition. Cela implique que les panneaux et les photos sont transportables et que chaque espace peut être exposé dans différents lieux au même moment. Les spécimens archéologiques sélectionnées proviennent des collections du musée dans lequel se trouve l’exposition ou aux collections des musées environnants. Ainsi, il n’est pas nécessaire de déplacer le matériel archéologique. Bien au contraire, l’exposition permet de mettre en valeur des pièces originales des musées partenaires. Ce dispositif est actuellement en place au sein du Musée d’Anthropologie Préhistorique à travers une vitrine présentant des ossements de bouquetin fracturés et cassés, peu esthétiques et a priori peu explicites pour le visiteur, ces vestiges rappellent la réalité des études de matériel en archéologie (mauvaise conservation et/ou fragmentation des ossements).  

Figure 6 : Présentation du panneau « Les bouquetins sous surveillance » écrit par Marie Canut, © Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco.

La résilience du bouquetin face à l’anthropisation ?

Le bouquetin alpin est une espèce qui fait partie intégrante de l’alimentation et des pratiques symboliques des sociétés humaines depuis 200 000 ans. Or, à partir du XVIIIe siècle, le braconnage, la chasse intensive pour ses cornes et ses bézoards (concrétion formée dans l’intestin des ruminants), la destruction de son habitat par les activités humaines, la compétition avec d’autres espèces domestiques et les maladies ont conduit à son déclin massif et critique. Au XIXe siècle, la création de la réserve du Grand Paradis par le Roi Victor Emmanuel II a sauvé in extremis l’espèce au bord de l’extinction (Couturier, 1951; Lavauden, 1934). Aujourd’hui, grâce aux efforts réalisés pour sa protection et sa sauvegarde depuis 200 ans (https://inpn.mnhn.fr/espece/listerouge/W), le bouquetin alpin est une espèce protégée qui est toujours répertoriée sur la liste rouge mondiale des espèces menacées de l’Union Internationale de la Conservation de la Nature (IUCN) dans la catégorie « préoccupation mineure ». Si la population mondiale est estimée actuellement à 55 000 individus (Brambilla et al., 2020), les bouquetins alpins réintroduits dans les Alpes françaises ne sont pas à l’abri des menaces génétiques et sanitaires (Figure 6). Les actions de préservation de l’espèce continuent et assureront peut-être sa survie et la réappropriation du milieu rupicole « anthropisé » dans le futur (Figure 7).

Figure 7 : Image générée par intelligence artificielle : « Les bouquetins futurs sur les falaises urbanisées », © F. Adamo, M. Vuillien & M. Canut.

À noter : L’exposition est accessible tous les jours de 9h à 18h au Musée d’Anthropologie Préhistorique, 56 bis boulevard du Jardin Exotique, Monaco. Pour plus d’informations, vous pouvez consulter le dossier de presse ici : https://map.gouv.mc/nos-expositions/expositions-du-moment

Les auteurs et autrices

Manon Vuillien est archéozoologue, post-doctorante CNRS et rattachée à l’UMR 7264 CEPAM – Cultures, Environnements : Préhistoire, Antiquité, Moyen-Âge -, Université Côte d’Azur, à Nice, France.

Florent Adamo est un photographe naturaliste.

Fabrice Bray est ingénieur de recherche au CNRS et rattaché à l’UAR 3290 MSAP – Miniaturisation pour la Synthèse, l’Analyse et la Protéomique, Université de Lille, France.

Marie Canut est chargée de mission Faune sauvage au Parc national du Mercantour, Nice, France.

Evelyne Crégut-Bonnoure est paléontologue, ancienne directrice du Musée d’histoire naturelle d’Avignon et rattachée à l’UMR 5608 TRACES – Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés, CNRS, Université Toulouse II Jean-Jaurès, France.

Emmanuel Desclaux est paléontologue, directeur du laboratoire du Préhistoire du Lazaret au département des Alpes-Maritimes et rattaché à l’UMR 7264 CEPAM – Cultures, Environnements : Préhistoire, Antiquité, Moyen-Âge -, Université Côte d’Azur, à Nice, France.

Lionel Gourichon est archéozoologue, chargé de recherche CNRS, directeur de l’UMR 7264 CEPAM – Cultures, Environnements : Préhistoire, Antiquité, Moyen-Âge -, Université Côte d’Azur, à Nice, France.

Abdelkader Moussous est paléontologue au Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, Monaco.

Olivier Notter est archéologue et préhistorien au Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, Monaco.

Elena Rossoni-Notter est archéologue et préhistorienne, directeur du Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco, Monaco.

Remerciements

Nous tenons à remercier tout particulièrement le Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco qui nous a permis de réaliser cette exposition du point de vue scientifique, technique et financier. Ce travail a bénéficié d’une aide du gouvernement français, gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du Plan d’investissement France 2030, dans le cadre de l’Initiative d’Excellence d’Université Côte d’Azur portant la référence ANR-15-IDEX-01. Ce travail de recherche est soutenu scientifiquement par le laboratoire du CEPAM (UMR 7264, CNRS, Université Côte d’Azur) et par le PCR « Paléoécologie de la grotte du Lazaret : interactions « Hommes-Milieu(x) » sur le littoral maralpin au cours du Pléistocène moyen final (MIS 6) » porté et financé par le Département des Alpes-Maritimes et la DRAC PACA (Ministère de la Culture). Nous remercions l’IR INFRANALYTICS FR2054 pour l’accès aux spectrométries de masse MALDI FTICR Solarix. Le réseau IBiSA, ProFI, ULille, CNRS pour le financement de la plateforme de protéomique de l’UAR 3290 MSAP. Enfin, je tiens à remercier tous les autres collaborateurs scientifiques du projet IBEX pour leur soutien et leur confiance.

Bibliographie

Barakat, S., Le Corre, M., Willmes, M., Cohen, J., Vuillien, M., Desclaux, E., Britton, K., 2023. Laser ablation strontium isotopes and spatial assignment show seasonal mobility in red deer (Cervus elaphus) at Lazaret Cave, France (MIS 6). Frontiers in Ecology and Evolution. 11, 988837. https://doi.org/10.3389/fevo.2023.988837

Brambilla, A., Von Hardenberg, A., Nelli, L., Bassano, B., 2020. Distribution, status, and recent population dynamics of Alpine ibex Capra ibex in Europe. Mammal Review 50, 267–277. https://doi.org/10.1111/mam.12194

Couturier, M.A.J., 1951. Les bouquetins et le Parc national du Grand Paradis depuis la dernière guerre. Revue d’Ecologie, 2, 83–91.

Crégut-Bonnoure, E., 2021. Le bouquetin, in:  Averbouh A., Feruglio V., Plassard F., & Sauvet G. (Eds), Bouquetins et Pyrénées, Presses universitaires de Provence. Aix-en-Provence, pp. 22–30, https://doi.org/10.4000/books.pup.42258

Crégut-Bonnoure, E., 2020. Les Ovibovini, Caprini et Ovini (Mammalia, Artiodactyla, Bovidae, Caprinae) du Plio-Pléistocène d’Europe, BAR Publishing. BAR International Series, 2 vol., 657 p.

Gourichon, L., Daujeard, C., Brugal, J.-P., 2019. Hommes et caprinés : de la montagne à la steppe, de la chasse à l’élevage, Actes des XXXIXe Rencontres Internationale d’Archéologie et d’Histoire d’Antibes. APDCA, Librairie archéologique, 419 p.

Lavauden, L., 1934. La protection des animaux de montagne en Europe. Revue d’Ecologie, 9, 543–552.


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Manon Vuillien (14 avril 2025). “Le bouquetin alpin : entre mer et montagne”, un espace d’exposition au Musée d’Anthropologie préhistorique de Monaco. Bioarchéologies. Consulté le 21 mai 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/13r1y


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